Les matériaux biosourcés sont aujourd’hui au cœur des discussions dans le monde de la construction. L’OPQTECC a souhaité en savoir davantage sur ce sujet et a interviewé Emmanuel Lafaye, Dirigeant Lafaye Consulting Group, économiste de la construction et formateur en éco-construction.
OPQTECC : Quels sont les avantages des matériaux biosourcés par rapport aux matériaux traditionnels ?
Le premier avantage des matériaux biosourcés est le faible impact carbone qu’ils représentent, par la moindre transformation et la moindre consommation d’énergie nécessaire à leur production. Ils sont souvent issus de co-produits de l’agriculture, et ont donc un cycle de vie vertueux. Ils ont également, de manière intrinsèque, des caractéristiques techniques assez intéressantes. Ces matériaux qui proviennent de la biomasse, de la terre, permettent de réguler l’hygrométrie des espaces de vie, des bureaux, c’est-à-dire la teneur en vapeur d’eau. De plus, ils ont, pour la plupart des isolants, une densité et/ou une masse volumique assez intéressante pour le déphasage thermique, c’est-à-dire décaler dans le temps l’entrée des premières calories dans le logement ou bureau pour éviter les surchauffes d’été.
OPQTECC : Comment les matériaux biosourcés contribuent-ils à la réduction de l’empreinte carbone des bâtiments ?
Au-delà des avantages cités précédemment, les matériaux biosourcés bénéficient souvent de circuits courts. Pour exemple, dans le cas de la paille, on utilise la paille présente dans un rayon de 50 km. Il n’y a aucun intérêt à transporter la paille à travers la France.
La moindre consommation d’énergie et l’utilisation de déchets pour la production des matériaux biosourcés ainsi que les circuits courts font que les matériaux biosourcés contribuent fortement à la réduction de l’empreinte carbone de la construction et de la rénovation des bâtiments. Par exemple : la ouate de cellulose est fabriquée à partir de journaux recyclés, la fibre de bois à partir de déchets de scieries, le coton recyclé à partir de vieux vêtements…
OPQTECC : Quels sont les coûts associés à l’utilisation de matériaux biosourcés ? Sont-ils compétitifs par rapport aux matériaux traditionnels ?
J’affirmerai que les matériaux biosourcés sont tout à fait compétitifs par rapport aux matériaux traditionnels, à partir du moment où on conçoit correctement l’utilisation de ces matériaux en les mettant aux bons endroits (il n’est pas forcément pertinent de prévoir l’utilisation des matériaux biosourcés partout) mais aussi si l’on s’appuie sur un réseau d’artisans capable de mettre en œuvre facilement ces matériaux localement. Si ces deux conditions sont réunies alors l’utilisation des matériaux biosourcés peut être plus compétitive que l’utilisation de matériaux conventionnels.
Il est à noter également que certains matériaux biosourcés sont même moins chers que les matériaux traditionnels, notamment certains isolants, par exemple la ouate de cellulose. Souffler de la ouate de cellulose en vrac pour isoler des combles perdus reviendra, dans la plupart des cas, moins cher que de poser n’importe quel isolant conventionnel en rouleau.
OPQTECC : Quels sont les défis liés à l’utilisation de matériaux biosourcés dans la construction ? Comment les surmonter ?
Il faut dissocier plusieurs catégories de matériaux : ceux qui ont déjà une filière installée, avec des règles de l’art établies (DTU, Avis Techniques, Documents Techniques d’Application … ) comme le bois de structure qui est très développé et pour lequel on trouve de nombreux charpentiers qui ont l’expérience et le savoir-faire nécessaire à la réalisation de construction en bois, de façades en bois, … et ceux qui ont des règlementations professionnelles officielles, comme la paille et le béton de chanvre mais pour lesquels le défi reste de trouver des artisans et des entreprises de la filière conventionnelle capables de changer d’échelle et intéressés pour s’emparer de la mise en œuvre de ces matériaux.
Il y a une troisième catégorie qui se sont fortement développés et qui se mettent en œuvre comme les matériaux conventionnels comme la laine de bois ou le coton recyclé. Plusieurs usines se sont construites en France, développant ainsi fortement l’offre. Il n’y a pas de défis particuliers sur ces filières.
Enfin, il existe une quatrième catégorie de matériaux biosourcés, les filières peu développées, comme le liège qui coûte aujourd’hui très cher, ou un isolant à base d’herbe qui vient de Suisse, ou encore les blocs de béton de chanvre ou de lin, qui sont des techniques en devenir. Le défi pour ces filières est la nécessaire prise de risque de la part d’artisans et de maîtres d’ouvrage pour promouvoir ces nouveaux matériaux.
OPQTECC : Existe-t-il des normes ou des réglementations spécifiques pour l’utilisation de matériaux biosourcés dans la construction ?
La Commission Prévention Produit (C2P) de l’Agence Qualité Construction (AQC) détermine et valide les règles professionnelles. Les premières règles acceptées par la C2P, en 2012, concernaient le béton de chanvre et la paille comme technique de remplissage et support d’enduit. Ce sont aujourd’hui des techniques courantes.
Ensuite, en 2020, les DTU 31.2 Construction de Maisons et Bâtiments à Ossature Bois (MOB) et 31.4 Façades à Ossature Bois (FOB) ont écrit une page importante de l’histoire de la construction bois et par extension les matériaux biosourcés affiliés, comme la fibre de bois.
Mais les règlementations changent et on attend de nouvelles avancées, des amendements aux règles existantes. Ce qui étendrait les périmètres d’utilisation de ces matériaux. En primeur, on peut annoncer la parution des nouvelles règles professionnelles d’exécution de parois verticales en béton de chanvre, acceptées par l’AQC en juillet 2024.
OPQTECC : Comment les matériaux biosourcés peuvent-ils être intégrés dans les projets de rénovation ?
Les matériaux biosourcés ont d’autant plus de raison d’être utilisés pour la rénovation de bâtis anciens. En effet, certaines propriétés techniques les rendent plus pertinents que les matériaux conventionnels.
Par exemple, le béton de chanvre qui est un mélange de chaux, d’eau et de chènevotte, est projeté et se colle sur le support. Le principal avantage de cet isolant est qu’il régule la vapeur d’eau (que ce soit par une isolation extérieure comme intérieure) et permet ainsi de favoriser la perméance (laisser passer la vapeur d’eau) de la paroi.
OPQTECC : Quelles sont les perspectives d’avenir pour les matériaux biosourcés dans l’industrie de la construction ?
Les matériaux biosourcés sont l’avenir ! J’en veux pour preuve que les principaux industriels du marché ont racheté des sociétés qui étaient historiquement des fabricants de matériaux biosourcés. Parallèlement, ces mêmes industriels de la construction fabriquent et développent des produits biosourcés. Grâce à leurs moyens en recherche et développement, on voit arriver de belles innovations. Par exemple, la réutilisation de déchets comme les glassines (support des étiquettes autocollantes) pour fabriquer un isolant.
OPQTECC : Comment les professionnels de la construction peuvent-ils se tenir informés des dernières avancées en matière de matériaux biosourcés ?
Avant tout, j’invite les professionnels à se former avant de se tenir informés. Les organismes de veille règlementaire recensent les nouveaux décrets ou les nouvelles règles professionnelles qui entrent en vigueur. Les matériaux biosourcés n’y dérogent pas.
On a tendance à toujours chercher de l’innovation alors que les matériaux biosourcés viennent des traditions ancestrales que l’on a oubliées. A l’issue de la seconde guerre mondiale, il a fallu beaucoup reconstruire et vite en privilégiant le béton armé. C’est ainsi que l’on a perdu les savoir-faire. Les impératifs étaient différents d’aujourd’hui. Par exemple, le pisé qui est une technique de terre crue compressée sans adjuvant et sans ferraille, permet de réaliser des murs porteurs. C’est une technique de terre crue qui existe depuis des millénaires et qui revient au goût du jour.
L’inconvénient est que depuis l’après-guerre, on a développé des normes qui sont basées sur la technique constructive de la filière humide, c’est à dire le béton armé. Aujourd’hui on a du mal à caractériser et à accepter de nouvelles techniques, même s’il s’agit de techniques ancestrales. Les normes actuelles ont été pour la plupart établies après-guerre. Elles sont basées sur le béton armé, avec des critères de test à la compression, critère de résistance au feu, … sur des caractéristiques techniques propres mais qui sont peu adaptées aux « nouveaux matériaux biosourcés » ou géosourcés utilisés. Mettre en œuvre des solutions techniques qui ne disposent pas de règles propres oblige à justifier les caractéristiques au bureau de contrôle. Mais on y arrive, cela nécessite de remettre de l’ingénierie au cœur de l’exécution en attendant qu’un consensus permette de valider des règles professionnelles communes.
OPQTECC : Selon vous, les professionnels de la construction sont-ils suffisamment sensibilisés aux matériaux biosourcés ?
Depuis l’entrée en vigueur de la RE2020, je suis agréablement surpris par l’intérêt grandissant manifesté par les professionnels de la construction sur les matériaux biosourcés. En tant que formateur sur ces sujets, j’ai de très bons retours et de nombreuses demandes, notamment sur la formation que je dispense aux économistes de la construction auprès d’UNTEC Services. Les économistes de la construction et les architectes sont des professions très ouvertes à ces techniques et ils peuvent être moteurs pour en développer leur utilisation.
Néanmoins, je pense qu’il faudrait que les promoteurs et les maîtres d’ouvrage publics se forment davantage afin de lever les a priori , les freins : c’est cher, ça va prendre l’eau, ça ne résiste pas au feu, …..
Ainsi, après plus de 20 ans à défendre ces solutions, je démontre dans une formation de deux jours intitulée « les matériaux biosourcés et la sobriété énergétique à prix maîtrisés » que les matériaux biosourcés ne sont pas nécessairement plus chers que les conventionnels.